L’électrification en cours des motorisations des véhicules, d’abord légers puis de plus en plus lourds, repose sur une infrastructure complexe mêlant accès publics, accès privés personnels et accès au sein des entreprises. Dans ce nouveau monde, tout change et la borne de recharge n’est plus l’apanage de stations-services au bord du réseau routier. En outre le terminal de recharge d’accès public est appelé à devenir partie prenante d’un point de service qui ne sera pas limité à la recharge de véhicule : accès Wifi, services de restauration, kiosque, point de recyclage, etc.
C’est donc à un grand bouleversement que nous assistons, transformant la notion de déplacement en une nouvelle expérience pour laquelle la gestion du temps ne sera pas la même que dans « le monde d’avant ». Dans ce contexte, il est intéressant de s’interroger sur l’évolution de l’infrastructure de recharge, appelée IRVE (Infrastructure de Recharge pour Véhicules Électriques). C’est en effet la qualité de cette infrastructure qui déterminera la bascule définitive vers le véhicule électrique, tant personnel que professionnel.
Dans cet article, nous évoquerons les aspects de déploiement, les enjeux économiques et les enjeux techniques. Pour clarifier certains termes, nous appellerons :
- Charge lente à moyenne : de 2 à 22 kW en AC (courant alternatif), de 24 à 49 kW en DC (courant continu)
- Charge rapide : de 50 à 149 kW en DC
- Charge ultra-rapide : de 150 à 350 kW en DC pour les véhicules légers ou utilitaires, et jusqu’à 800 kW (DC) pour les bus et poids lourds.
Les enjeux de déploiement IRVE
Après un démarrage un peu poussif, la France se situe aujourd’hui juste derrière les Pays-Bas, légèrement devant l’Allemagne, avec 100 000 points de charge publics en mai 2023. Pour autant, ce résultat encourageant masque des disparités importantes. D’abord, sur le plan géographique, où nous constatons un écart important entre l’Occitanie, championne de France, et la Corse, lanterne rouge, sans parler de l’Outre-Mer.
La deuxième grande disparité concerne la puissance des bornes. Dans ce domaine l’Allemagne fait la course en tête (plus de 12 000 points de charge rapide), suivie des Pays-Bas, tandis qu’en France on trouve seulement 7% des points d’accès publics avec une puissance au moins égale à 150 kW (puissance théorique, souvent éloignée de la puissance réellement disponible).
Ce constat, couplé au puissant levier de la règlementation et de la fiscalité, permet de poser quelques enjeux importants pour le déploiement de l’infrastructure IRVE en France :
L’accès privé particulier – l’équipement rapide en cours concerne presque exclusivement des points de charge AC de 2 à 22 kW. Les primes ADVENIR ont beaucoup aidé ce déploiement, jusqu’à leur disparition fin 2022 (particuliers et entreprises). En revanche il existe aujourd’hui une activité intense dans les copropriétés, pour lesquelles les aides peuvent encore atteindre 50% des coûts d’installation.
L’accès privé professionnel – les premières installations AC (7-22 kW) sont aujourd’hui complétées par des installations DC permettant une recharge beaucoup plus rapide. C’est un enjeu majeur pour basculer vers le véhicule électrique, non seulement en ce qui concerne les véhicules légers, mais aussi les utilitaires, puis les bus et les camions. Les limitations des installations de raccordement électrique sont un des freins au déploiement de ces bornes.
L’accès public – si les compagnies pétrolières valorisent leur infrastructure de stations-service pour proposer la recharge électrique au public, une diversité croissante de points d’accès se fait jour : commerces, hôtels-restaurants, aires de repos, parkings, centres de loisirs, centres médicaux, etc. Là encore, compte tenu du temps disponible pour les utilisateurs, la charge rapide devient un enjeu majeur. La question est, en effet, combien d’autonomie (km) vais-je générer en 30 minutes, une heure, ou le temps d’un film ?
Le tableau ci-dessous fournit quelques tendances de fond pour l’infrastructure IRVE. Même si ce tableau est orienté plutôt vers les besoins professionnels, la tendance est générale et on commence à voir des installations d’autoconsommation pour recharge de véhicules électriques chez des particuliers.
Il est urgent d’accélérer le développement de la recharge rapide dans un contexte multi-énergies avec maximisation de l’utilisation d’énergies vertes locales, afin de pas surcharger le réseau public !
Les modèles économiques
En l’absence de données de référence sur la taille du marché IRVE, il est estimé que le marché IRVE représente environ 1 G€ en 2022 à l’échelle européenne, avec une projection de croissance à 7 G€ en 2030.
Concernant les acteurs de la chaîne de valeur IRVE, on distingue trois grands modèles économiques :
- Les vendeurs d’équipements de recharge : bornes, logiciels de supervision, gestion de puissance
- Les tiers-investisseurs et fournisseurs d’énergie : fournissent les stations de charge et facturent le service de recharge (abonnements et énergie)
- Les intégrateurs, installateurs et opérateurs de stations de charge : fourniture de stations de charge privées ou publiques, avec systèmes de supervision et contrats de maintenance.
Certains intégrateurs sont également producteurs d’équipements (souvent fabriqués en sous-traitance). Les catégories 2 et 3 ci-dessus sont essentiellement des prestataires de service. Pour les derniers (intégrateurs et installateurs) le modèle économique repose sur une combinaison de marges de revente des équipements, de prestations allant de l’ingénierie (voire audit et design) jusqu’à la mise en service, et de revenus récurrents (maintenance et abonnement de supervision).
Au côté des grands acteurs connus du secteur de l’énergie (EDF, Total Energies, Engie, Bouygues, Eiffage, etc.) les trois dernières années ont vu l’arrivée de nombreuses start-ups surtout dans les deux dernières catégories ci-dessus. Comme le montre la figure suivante, l’année 2022 est exceptionnelle en termes de levée de fonds, particulièrement pour les tiers-investisseurs qui doivent financer le déploiement de leur réseau avant de pouvoir percevoir des revenus. On parle de plus de 1 G€ investis en un an et uniquement en France !
Cette manne financière risque d’entrainer des consolidations faisant émerger des réseaux puissants en concurrence avec les opérateurs traditionnels de mobilité (compagnies pétrolières) ou permettant à ces derniers d’étendre leur part de marché par acquisition des plus vulnérables.
Les enjeux technologiques
Un des principaux enjeux techniques pour l’IRVE est la montée en puissance des points de charge sous deux grandes contraintes : le coût (qui augmente beaucoup plus vite que la puissance) et la gestion de l’énergie.
En ce qui concerne les coûts des bornes, on assiste à une classique courbe d’apprentissage (grâce aux progrès de l’électronique en particulier) qui voit le prix affiché des bornes rapides baisser sensiblement à puissance constante. L’Europe est bien positionnée dans ce domaine et il est possible que des équipements d’origine asiatique viennent accentuer cette baisse.
En ce qui concerne la gestion de l’énergie, on voit deux tendances qui se conjuguent. D’une part, suivant l’exemple de Tesla, les équipementiers proposent des systèmes de stockage de puissance (power units) qui permettent de mutualiser une source d’énergie sur plusieurs points de charge (le stockage étant rechargé hors période de charge IRVE). L’intégration de la station de charge dans un système multi-énergie, d’autre part, permet d’envisager une alimentation combinant le réseau public et une énergie produite localement (panneaux solaires, par exemple). L’intérêt est multiple :
- Autoconsommation d’une énergie appartenant au site IRVE
- Réduction de la puissance de raccordement, et donc aussi du coût de l’abonnement
- Autonomie (au moins partielle) en cas de délestage du réseau.
Dans le cadre de sa technologie SCIFAE, ElectrISE vient de développer une station de charge haute puissance qui s’intègre avec une production photovoltaïque et un système de stockage piloté. Grâce à sa couche logicielle, l’allocation d’énergie est optimisée en temps réel en fonction de performances d’autonomie définies à l’avance, de l’énergie immédiatement disponible (PV + stockage) et d’une priorisation de la demande tenant compte des profils des conducteurs. L’autonomie visée par rapport au réseau public est de l’ordre de 40 à 60%.
En guise de conclusion
Compte tenu de l’accélération satisfaisante du déploiement de bornes de recharge de type « lent à moyen », l’enjeu majeur de l’infrastructure IRVE en France est la mise en place de charge rapide à ultra-rapide, aussi bien dans le domaine public que pour les installations privées des entreprises. Pour cela, la problématique de la gestion de l’énergie est fondamentale pour répondre au défi qui sera posé au réseau public et aussi pour réduire le coût de la recharge elle-même.
En savoir plus :
ElectrISE – www.electrise.eu
AVERE – https://www.avere-france.org/
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