La Logistique du dernier kilomètre est avant tout sociale

Avis d'expert

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Rencontre avec Hervé Street, Président du Groupe Star Service, l’expert de la logistique du dernier kilomètre et spécialiste de la livraison à domicile.

Bonjour Hervé Street. Vous êtes un acteur majeur et historique de la livraison du dernier kilomètre. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la livraison en ville, notamment en termes de consommation, des contraintes associées et des innovations qui voient le jour ?

 

Pour commencer, je pars toujours du consommateur pour arriver à ce que nous, professionnels de la Supply Chain, pouvons lui offrir. D’après moi, le consommateur est de plus en plus protéiforme car notre génération, la génération actuelle et celle qui arrive, sont totalement différentes, de même que leurs manières de consommer.

Alors, qu’est-ce qu’un consommateur aujourd’hui ? D’après moi, il en existe plusieurs et nous sommes tous susceptibles de passer d’un état à l’autre selon les situations. Le premier type de consommateur ressemble à ce que nous étions il y a quelques années, celui qui rentre dans un magasin, regarde et achète. Le deuxième rentre dans le magasin, achète et profite des fonctionnalités et services qui lui sont proposés (la livraison à domicile par exemple). Ici, on mise sur l’achat plaisir et on se débarrasse de la corvée de ramener les achats, en profitant du service de livraison. Le troisième profite de ce que j’appellerai ici, le « full service ». Il s’agit du consommateur qui n’a pas de temps ou préfère ne pas se déplacer en magasin. Il passe commander en ligne et se fait livrer. Il s’intègre ici dans du « full service ». Enfin, le dernier type de consommateur que je qualifierai de « nomade », souhaite se faire livrer dans son coffre de voiture alors qu’il est en weekend, dans un lieu de villégiature ou sur la route de sa maison de campagne par exemple.

 

« Il devient primordial d’offrir au consommateur les services appropriés à ses besoins et donc d’accentuer l’offre de service, au même titre que l’offre de produit. »

 

D’après moi, il faut que les professionnels de la livraison puissent adresser ces différents services pour s’adapter à chaque moment de vie du consommateur. Et c’est de cette manière que les clients seront fidélisés aux services de livraison qui leur sont proposés. Cette fidélisation client est primordiale : les professionnels du secteur s’entendront tous à dire qu’il est moins couteux de conserver un client que d’en adresser un nouveau. Il devient donc primordial d’offrir au consommateur les services appropriés à ses besoins et d’accentuer l’offre de service, au même titre que l’offre de produit.

 

En tant qu’expert de la logistique urbaine, selon vous, quels seront les modes de livraisons de demain et quel modèle économique envisager pour le secteur ?

 

Le premier constat, c’est que nos villes sont vieilles. De fait elles n’ont pas été pensées, ni construites pour la logistique urbaine d’aujourd’hui. Il faut donc s’adapter à de multiples contraintes, des rues étroites, des forêts de poteaux, des hauteurs sous plafond. Le professionnel de la livraison doit sans arrêt s’adapter. Il faut penser à la satisfaction des clients sans négliger les conditions de travail de nos collaborateurs.

Ce problème d’urbanisation est à prendre en compte sérieusement. Il y a là un paradoxe énorme lorsqu’on demande au livreur d’être aimable et de représenter sa marque alors qu’il est soumis à de multiples contraintes et un stress considérable au quotidien. Évoquons rapidement les embouteillages, les problèmes de stationnement, le port de charges lourdes, les escaliers etc. Il ne sera pas illusoire de dire ici que le travail d’un livreur n’est pas reconnu à sa juste valeur par la collectivité, bien que la COVID ait démontré la nécessité de ce métier.

Mais pourquoi valoriser un travail qui n’a pas de valeur puisque le consommateur ne le paie pas ? Malheureusement, l’acte de livraison a été totalement banalisé dans l’esprit de tous. C’est destructeur pour la filière et aussi pour tous ces livreurs du quotidien. Il conviendrait de faire évoluer les choses.

En cela, je crois beaucoup aux Entrepôts de Logistique Urbaine (ELU) à condition que ces espaces soient pensés pour une utilisation moderne de la logistique en ville, sous toutes ses formes. Grace au déploiement d’ELU en quantité suffisante, il sera alors envisageable de créer une organisation par quartier, un vrai service de proximité où le livreur n’est plus une personne lambda dont l’acte n’a aucune valeur, mais où le professionnel devient un visage connu dont on apprécie la régularité du service. Le livreur deviendrait alors, à l’instar du gardien ou de la concierge, une personne familière dans un environnement d’ultra-proximité.

 

« La flotte de véhicules des entreprises va foncièrement évoluer dans les années qui viennent pour se diversifier »

 

Les moyens de livraison ? Je pense que tous les modes de livraison auront leur place dans la ville de demain, à condition qu’ils soient adaptés. En premier lieu le piéton, puis la cargo mobilité, ensuite des véhicules électriques, hydrogènes ou zéro émission et enfin des véhicules adaptés aux grands volumes – car il en faudra toujours. Je suis convaincu que la flotte de véhicules des entreprises va foncièrement évoluer dans les années qui viennent pour se diversifier. C’est déjà le cas chez Star Service où nous déployons continuellement de plus petits véhicules moins encombrants, des véhicules bas-carbone, et des véhicules plus adaptés aux besoins opérationnels de livraison.

 

Lorsque l’on parle d’une « logistique supportable pour tous », on envisage évidemment l’impact environnemental mais il est important de prendre en considération l’aspect social également. Quels sont les défis en matière de ressources humaines (recrutement, formation, fidélisation) ?

 

Chez Star Service, nous avons fait le choix de l’Homme avec un modèle social précis et organisé garantissant le bon suivi des process de bout en bout.

Malgré cela, le recrutement de nouveaux collaborateurs livreurs est difficile et le turn-over reste important. Cela s’explique par la difficulté du métier. De manière générale, nous perdons une grande partie des nouvelles recrues lors du premier mois de formation. Néanmoins, lorsque la formation est passée, nous savons que le plus dur est fait. C’est bien sûr un investissement conséquent pour l’entreprise. A titre d’exemple, pour recruter 3.000 personnes sur l’année, nous analysons plus de 50.000 CV. Nous constatons néanmoins que tous les efforts de fidélisation de notre personnel ne sont pas vains, et que nombre d’entre eux restent et grandissent chez Star Service. Leur évolution est une grande fierté pour notre entreprise.

Pour faire face à la difficulté de recrutement, notre service Ressources Humaines est d’abord très mobile et se déplace aussi bien dans les grandes agglomérations, que dans les banlieues ou en province : il faut recruter les collaborateurs au plus près de chez eux. Notre approche évolue constamment, tout comme nos outils permettant de captiver et développer l’intérêt des candidats. Chez Star Service, nous capitalisons sur la formation, l’évolution en interne (90% des managers sont issus de la promotion interne) et sur des emplois stables avec 90% de contrats en CDI. De même, l’évolution de notre flotte de véhicules et notre offre de services (véhicule de livraison, vélo, piéton, etc…) permet d’adresser un plus grand nombre de candidats. Assez naturellement ceux qui sont détenteurs du permis de conduire choisissent le véhicule de livraison, mais pas que … ! De fait, nous adressons mathématiquement plus de candidats.

 

Pour conclure, quelle vision portez-vous sur la ville logistique de demain ?

 

D’après moi, la collectivité doit d’urgence prendre conscience que le terme de « RSE » contient le « S » de Social. C’est une notion importante et peut-être encore plus dans nos métiers. Sans cette prise de conscience, notre société restera dans une logique de création de « petits métiers » sans aucune reconnaissance. Il y aura un fossé toujours plus grand entre ces « jobs » et les métiers considérés comme « nobles ». D’un point de vue purement personnel, cette vision d’avenir ne me fait pas rêver car elle ne permet pas l’épanouissement professionnelle, ni la capitalisation sur les savoir-faire.

 

« La collectivité doit d’urgence prendre conscience que le terme de « RSE » contient le « S » de Social. »

 

En cela, j’essaie d’insuffler ma propre vision de la logistique de demain plus « sociale » dans les axes stratégiques de Star Service. Cela nécessite de redonner de la valeur à nos métiers et de donner du sens aux collaborateurs. Pour ce faire, nous misons sur les livraisons à valeur ajoutée pour des marques qui ont une vraie vision stratégique et responsable de ce que doit être le service de livraison.

 


 

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