SprintProject a souhaité donner la parole a des professionnels de la supply chain afin d’en savoir un peu plus sur leur vision des véhicules autonomes et les conséquences qu’ils envisagent pour leurs métiers.
D’après vous comment le véhicule autonome peut changer vos métiers ? Avez-vous engagé une réflexion ou des actions dans votre entreprise pour vous préparer à son arrivée ?
Yannick BUISSON, Directeur Général France et Europe de l’Ouest – FM Logistic :
« Les véhicules autonomes vont résolument ouvrir des opportunités dans les métiers de la logistique, tant sur les routes qu’à l’intérieur des entrepôts.
FM Logistic utilise depuis plus de 3 ans des véhicules autonomes (AGV) qui permettent de déplacer des palettes pour préparer les chargements, transférer des palettes pour alimenter des zones de production copacking, etc. Nous utilisons actuellement une trentaine d’AGV et notre rythme de déploiement est d’une dizaine par an
Sur la route, même si nous sommes convaincus de la transformation que les véhicules autonomes vont provoquer, nous n’avons pas encore lancé d’expérimentation. Les applications sont multiples : transfert des collaborateurs depuis les parkings vers leurs postes de travail, déplacement de remorques pour les chargements/déchargements sur site, livraison, etc. »
Yves Delmas, COO Europe / Executive VP – DPD Group :
« Concernant l’utilité des véhicules autonomes dans nos métiers de logisticiens, je suis assez vieux jeu sur la question. De mon point de vue, le véhicule autonome ne changera pas beaucoup nos métiers. En revanche, il peut pallier en partie la difficulté de trouver des chauffeurs. Cependant, tant qu’un chauffeur sera nécessaire pour accompagner un poids lourd jusqu’à l’autoroute, pour ramener le premier chauffeur au dépôt, pour récupérer le poids lourd à l’entrée des villes ou pour l’y amener… je reste sceptique.
De plus, nous n’avons aucune indication sérieuse de coût à l’heure actuelle. Dans le cas où le véhicule autonome faisait faire des économies – et cela en prenant un considération le grand ballet de chauffeurs évoqué précédemment -, cela me semble malgré tout compliqué à l’exception des grandes distances car nos clients sont bien informés et répercuterons la baisse des coûts dans les prix.
Concernant le platooning (plusieurs camions qui se suivent), c’est à mon sens très théorique. Il est rare que plusieurs véhicules se suivent sur le même axe et lorsque c’est le cas, l’intérêt est justement d’optimiser le tri arrivée et départ afin de lisser les injections et d’optimiser le temps machine. De fait, les faire partir et arriver à la même heure est une hérésie logistique.
A mon sens, pour que l’intérêt du véhicule autonome soit réel, il faudrait que le coût final soit tellement plus attractif que l’actuel, que cela permette plus de livraisons directes, même non remplies intégralement. Cela permettrait alors de revoir à la baisse nos investissements HUB. En revanche, dans le même temps, il faudrait peut-être avoir plus de portes à quai dans les dépôts.
Concernant les robots livreurs, je ne suis pas plus positif. En effet, il s’agit de la première innovation dans nos métiers qui se ferait au détriment du service client. Dans l’idée, le client recevrait un message quand le robot – qui aurait réussi par miracle à pénétrer intact et inviolé à la borne -, est en bas de chez moi. Le client doit alors descendre et rejoindre la borne. Tout ceci jusqu’à ce que les robots apprennent à sonner et prendre l’ascenseur !
A titre d’exemple, 25% des vélib sont volés ou sabotés…
Le jour où un robot fera 100 livraisons dans Paris en autonomie totale n’est pas pour demain ! »
Marc Vettard, Directeur Général – STEF et Jean-Marc Platero, Directeur technique – STEF :
« Comment le véhicule autonome peut changer nos métiers ? La première évolution sera à mon sens sur notre métier de traction. Il va transformer notre métier tout d’abord en le sécurisant. Un véhicule autonome est une machine et une machine est toujours plus sûre qu’un être humain. Cela devrait également limiter les casses matériels et réduire notre consommation de carburant. La valeur ajoutée d’un conducteur en traction étant faible, nous devrons nous poser la question du devenir de ce poste. Une question reste en suspens : si nous imaginons un camion 100% autonome à terme, faut-il encore avoir un tracteur et un semi-remorque ? Ne deviendront-ils pas un seul et unique véhicule ?
Pour le métier de la distribution, il est encore difficile d’imaginer comment nous serons impactés. Les villes aujourd’hui se battent pour lutter contre la congestion et la pollution. Avec les technologies actuelles, aucun modèle idéal de véhicule n’a été trouvé. Une tendance du moment (cf. en Californie) est d’aller vers des robots livreurs, du tout petit au plus gros. Mais ce type de véhicule a du mal à trouver sa place car les riverains réagissent face à ce changement et le modèle n’est pas mature.
Est-ce que STEF a entamé une réflexion ou des actions pour préparer l’arrivée des véhicules autonomes ? L’arrivée des véhicules autonomes va être une vraie révolution. Dans une période de pénurie de chauffeurs, il va falloir imaginer ce que feront nos chauffeurs dans 10 à 15 ans. Autant sur les tractions, une fois que la technologie sera mature, nous pouvons imaginer laisser les véhicules circuler seuls entre deux villes, autant sur nos livraisons en centre-ville, le chauffeur pourrait voir son métier évoluer et s’orienter plus vers une approche commerciale (suivi des livraisons, passage de commandes.).
La vraie complexité va être de gérer la période transitoire. La technologie ne passera pas vers le tout autonome en une fois. Il va y avoir – comme nous le vivons aujourd’hui sur les véhicules particuliers – , différentes étapes avant d’arrivée à une autonomie totale. Il sera alors indispensable d’aider nos chauffeurs à accepter cette évolution. Sur ce point, il semblerait que l’acceptation soit plus du ressort psychologique que technique. Il faudra également les aider à préparer l’évolution de leur métier. Le vrai enjeu sera sur cette période. Il faudra en tant qu’employeur : rassurer, accompagner et donner de la perspective à nos conducteurs et futurs conducteurs. D’ailleurs, devront-ils toujours avoir le titre de conducteurs, chauffeurs ?
Quoiqu’il en soit, nous devrons garder une vraie proximité avec nos partenaires constructeurs pour qu’ils nous donnent dès que possible une vision et un timing sur les évolutions. »
Frédéric Vallet, Président – DB SCHENKER France :
« Chez DB Schenker, nous sommes impliqués dans des tests de véhicules autonomes qui se déroulent actuellement chez nos collègues Suédois ; du fait du segment de marché sur lequel nous évoluons, fret industriel palettisé, nous pensons que ces solutions ne nous permettrons pas d’adresser la livraison en centre-ville, sauf à maintenir un collaborateur accompagnant qui se chargera d’acheminer le fret sur les derniers mètres, du véhicule au commerçant. Cette dernière notion demeure d’ailleurs une piste sur laquelle nous réfléchissons car elle permettrait d’accompagner la transformation du métier de conducteur vers un profil orienté sur la relation avec le client final.
Notre vision est aussi que le véhicule autonome aura tout son sens sur des liaisons reliant nos agences, utilisant majoritairement de grands axes Autoroutes & Nationales, et reliant une agglomération à une autre agglomération, d’une zone industrielle à une autre zone industrielle. Généralement réalisées de nuit, la mutation opérationnelle de ces liaisons vers une solution autonome contribuerait à réduire les risques d’accidents.
Enfin, nous percevons que les véhicules autonomes auront un rôle dans la gestion des flux au sein même de nos agences, liés aux mouvements de remorques des quais vers les parkings d’attente et vice et versa. »