Il est 7h30 et je prends un café dans mon bistrot préféré Parisien situé à l’angle de la rue Amelot et de la rue Oberkampf. Ce jour-là, parmi les nombreux journaux éparpillés sur le comptoir, mon regard est attiré par un article en tribune. Le titre concerne le « véhicule autonome de livraison ».
J’ai rendez-vous avec Hervé* avec qui nous devons discuter du sujet, mais il est en retard comme à son habitude. Sans plus attendre je me décide d’empoigner le journal pour me plonger dans l’article.
Il n’est pas monnaie courante de trouver un tel article de 4 pages dans un quotidien de ce calibre. Autant des dépêches sur le véhicule autonome pour le transport de personnes sont relativement courantes, autant sur le véhicule autonome à destination de la logistique urbaine cela reste plutôt une affaire de spécialistes.
Cependant malgré la densité de cet article relativement bien fourni, moins de 2 minutes me suffisent pour repérer tous les clichés à propos du véhicule autonome de livraison : l’avenir pour les villes… moins de pollution… plus sécurisant… moins de congestion… la livraison partout à n’importe quelle heure… nouvelle économie… digital… et surtout, plus de chauffeur… Ah tiens donc !
Cet article relate en réalité la levée de fonds record que la société Nuro venait d’annoncer la veille : 940M$ venant s’ajouter aux 92M$ d’une 1ère levée en 2016. Plus d’1 Milliard de $ pour accompagner la stratégie de cette startup autour d’un véhicule baptisé R1 destiné à la logistique du dernier km en autonome.
Ah oui quand même ! L’idée qu’il va falloir faire un paquet de livraisons et vendre un grand nombre de véhicules pour compenser tout ceci me traverse l’esprit. Sourire. Il est bien évident que le business model de Nuro n’est pas là (mais shuuut Google lit dans les pensées !)
A ce même instant, toujours journal en main, un livreur s’introduit comme une flèche et se dirige vers le chef cuisinier du bistrot. Ce livreur, comme me le confirmera le patron plus tard, effectue chaque matin une livraison de produits frais pour la restauration du midi (excellente au passage). L’homme a garé son véhicule d’une façon assez impropre pour le dire de façon polie, mais ne gêne ni la circulation des véhicules, ni celle des passants. Je lève les yeux de mon article pour regarder cette chorégraphie rythmée où chaque mouvement du livreur est effectué avec la vélocité et la précision d’un athlète de haut niveau. Comme si chacun de ses gestes avait été répété des milliers de fois avant d’être exécuté devant moi. Et en moins de 3 minutes, le livreur est reparti en ayant déchargé sa cargaison.
2ème « Ah oui quand même ! » en moins de 5 minutes. Quel rapport entre ce livreur et le véhicule autonome me direz vous ? J’y viens.
Je me replonge dans l’article avec un air plus que dubitatif et me dis : « mais comment sera t-il possible de maintenir des livraisons en moins de 3 minutes, sourire du livreur, bordereau tamponné, avec un véhicule autonome sans personne à bord, sans gêner la circulation, le tout avec des marges que l’on connait dans la logistique ? » ça ne colle pas.
A ce moment précis, je ne peux m’empêcher de repenser à Xavier DALOZ répétant à qui veut l’entendre à propos du véhicule autonome « on n’automatise pas le passé, on le réinvente ».
Mon cerveau à peine « caféiné » s’emballe : « Mais retirer le chauffeur revient également à retirer le livreur !? ».
Il est bien évident qu’imaginer des véhicules autonomes à destination des logistiques en calquant cette rupture technologique sur le modèle actuel n’a pas de sens. Quel est l’intérêt pour le client final ?
Xavier a raison ! S’il est intellectuellement possible de se passer du chauffeur, qu’en est-il du livreur. Et je ne vous parle pas des plombiers, tapissiers, infirmières, blanchisseurs, déménageurs, fleuristes, maraichers, ascensoristes, mécaniciens, etc.
Car sans professionnel, pas de service. Et sans service, à quoi pourrait bien servir le véhicule autonome pour les professionnels ?
En conclusion, la question n’est pas de savoir si le véhicule autonome arrivera un jour ou pas, il arrivera. C’est une question de temps.
En revanche, ceux qui l’auront compris et sauront en tirer parti seront les grands gagnants. Il sera pour cela probablement nécessaire de créer des alliances pour travailler l’innovation de manière plus ouverte et revoir les organisations des déplacements à la manière dont le Taylorisme et le Lean ont révolutionné l’industrie depuis 100 ans (un billet 2 à venir ?). Pour les autres, vous pourrez toujours envisager de revenir au véhicule autonome et recyclable par excellence : le cheval accompagné de sa fidèle charrue.
* Ah, et puis j’allais oublier. En réparation de cette mauvaise grâce faite à Hervé pour les besoins de l’article, je suis quand même obligé d’avouer qu’il n’est jamais en retard… lui !
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