Avec la croissance du e-commerce, « l’intensité logistique » de nos transactions commerciales en ville s’est accrue. Ce phénomène s’est amplifié avec la pandémie de COVID-19. Si les consommateurs sont repartis dans les magasins, beaucoup sont devenus omnicanaux, combinant la fréquentation de magasins en ligne et de magasins physiques. Le e-commerce transforme la ville autant que les mobilités, notamment celle de la logistique qui est de plus en plus visible dans l’espace urbain 1. C’est le sujet du deuxième numéro de « Welcome To Logistics City », la publication de la Chaire Logistics City 2. Découvrez–la dans son intégralité via ce lien. Cette publication couvre cinq grands thèmes : les mobilités des personnes et des marchandises liées au e-commerce, le besoin de données et les nouvelles méthodes de collecte, les innovations dans les métiers, dans les services et dans les technologies des véhicules, les espaces publics et l’immobilier logistique et, enfin, les effets de la crise sanitaire. Nous levons dans cet article un petit coin du voile.
Figure 1. Les deux numéros de « Welcome To Logistics City », la publication de la Chaire Logistics City.
Le e-commerce impacte toutes nos mobilités
Théoriquement, le e-commerce remplace la nécessité pour les consommateurs de se rendre dans les magasins par une livraison à domicile. Pourtant, cette relation entre la mobilité des personnes et celle des marchandises se révèle complexe à appréhender. Les consommateurs en ligne se rendent encore dans des magasins physiques pour des interactions sociales ou pour examiner les produits. Lorsque les commandes en ligne ne sont pas livrées à domicile ou sur leur lieu de travail, les consommateurs se déplacent pour récupérer leurs achats. Et lorsque les commandes en ligne ne sont pas à la hauteur des attentes, sont défectueuses ou endommagées, les consommateurs se déplacent aussi pour mener une procédure de retour. Ces retours peuvent à leur tour créer des mouvements de marchandises supplémentaires.
Le e-commerce a modifié les parcours d’activité des consommateurs. Ceux-ci ne sont plus uniquement polarisés par des lieux précis et ancrés, mais fragmentés dans l’espace et le temps. Il est donc primordial de tenir compte à la fois de la mobilité des consommateurs et de celle des prestataires de services de livraison. L’influence du e-commerce sur le comportement des consommateurs a été présentée dans cet article.
Accélérateur de volumes de colis et d’innovations de services
Le e-commerce a considérablement augmenté le nombre de nouveaux trajets de professionnels de la logistique sur de courtes distances et sur le dernier kilomètre. Cependant, les données de mobilité liées aux livraisons du e-commerce sont éparses et parfois contradictoires. Cela est paradoxal, tant elles sont surabondantes du simple fait que le secteur est numérique par nature. Mais elles sont jalousement gardées par les e-commerçants et leurs prestataires logistiques, car elles constituent l’une des ressources majeures de leur modèle d’affaire.
Figure 2. Évolution sectorielle du e-commerce en France juste avant et juste après le premier confinement (Statista, 2020).
L’impact sur la mobilité des marchandises réside aussi dans son effet d’accélérateur de transformations. La manière dont nos biens sont transportés fait en effet l’objet d’innovations servicielles considérables. Ces innovations sont liées à la vitesse, au temps, à la flexibilité, à l’information ou encore au prix des livraisons. Avec le développement rapide des services de « livraison instantanée », l’emploi logistique a été bouleversé. Les plateformes dédiées ont recours à une main-d’œuvre flexible organisée en fonction de la demande. Ainsi, le e-commerce n’a pas seulement un impact sur les flux logistiques, les métiers sont également modifiés. La Chaire Logistics City mène des enquêtes régulières sur les livraisons instantanées, dont la quatrième édition est désormais disponible en ligne.
Figure 3. Les défis du chargement des camionnettes de livraison pendant le confinement, vus par bpost.
Nouveaux véhicules, nouvelles technologies
De plus, les acteurs de la distribution urbaine sont soumis à des enjeux divers qui les conduisent à adapter leurs solutions de mobilité. Au cœur de cette transition, les évolutions et les innovations en matière de véhicules, de motorisations, et de technologies. Pour la livraison urbaine, les véhicules électriques sont considérés comme la principale alternative. Comme solution arrivée à maturité technologique, elle représente dorénavant une offre diversifiée pour les véhicules utilitaires légers. D’autres technologies se sont développées mais encore balbutiant, notamment pour les poids lourds : le gaz naturel et l’hydrogène. Chacun soulève des enjeux spécifiques. Les poids lourds à batterie sont également en plein développement. Différents facteurs opérationnels déterminent les choix opérés par les acteurs sur toutes les solutions alternatives au diesel et à l’essence. Ils incluent l’autonomie des véhicules, la charge d’emport et l’accès facile à un avitaillement.
Figure 4. Classification de la cyclo-logistique, des vélos aux vélos-cargo (Nürnberg, 2019).
L’usage de deux-roues comme des vélos et des scooters, ainsi que de vélos-cargo de livraison est en pleine croissance. Utiliser des vélos-cargo pour la livraison nécessite un modèle spatial reconfiguré, avec une infrastructure logistique locale. Ces hubs permettent de réduire la distance finale à parcourir (le « dernier kilomètre ») ainsi que des fonctions supplémentaires comme le stockage. La prochaine tendance pourrait être l’introduction, qui restera à un niveau de niches, de véhicules autonomes, des drones aux véhicules utilitaires en passant par les robots de rue ou de trottoir. Si les robots de rue se développent le plus, les robots de trottoir sont surtout utilisés sur les campus tertiaires ou universitaires. Des véhicules semi-autonomes suivront et soutiendront le personnel de livraison des colis. Des véhicules aériens supprimeront le besoin de conducteurs humains dans certains territoires difficiles d’accès. La Chaire a publié en 2020 un aperçu mondial des véhicules autonomes de livraison sur son site web.
Figure 5. Typologie des véhicules autonomes de livraison (Touami, 2020).
Nous pouvons nous attendre dans tous les cas à une diversification croissante des véhicules de livraison pour distribuer les colis de e-commerce. Ils poseront des problèmes concrets et nécessiteront de nouvelles ingénieries de trafic et de nouveaux principes d’aménagement de l’espace public dans la ville de demain.
Les espaces publics, l’immobilier logistique vont changer sous la pression du e-commerce
Le e-commerce a non seulement modifié les schémas de transport mais il a également créé de nouveaux espaces logistiques. Les points-relais par exemple. Ancienne solution de la vente à distance, ils se sont considérablement développés et surtout professionnalisés, informatisés, mis en réseaux. Suivant le concept du « shop-in-shop », les commerces de proximité organisent l’enlèvement pour les livraisons de colis et le dépôt pour les retours de colis. On constate également une augmentation des consignes automatiques, y compris en France, où ils étaient rares jusqu’à il y a deux ans. Même s’il convient de nuancer en fonction des zones, les points-relais permettent de réduire les déplacements totaux de la livraison.
Figure 6. Le nombre de points-relais en Île-de-France pour les quatre grands réseaux français (à partir de APUR, 2020).
À côté des points relais, un autre lieu de livraison alternatif se développe : les commerces eux-mêmes. Ils jouent le rôle de points-relais dans la chaîne professionnelle de la livraison des colis, sous la forme du click-and-collect. Dans le commerce de détail alimentaire, ce service s’est développé sous le nom (en France seulement) de « drive ». Ou bien, ils deviennent des lieux de préparation des commandes et de collecte par le consommateur. Dans les centres commerciaux, l’augmentation des flux de livraisons en boutiques suscite même des interrogations sur l’agencement spatial des boutiques, des espaces de circulation et de l’organisation globale des flux de marchandises.
Mais il n’y a pas que les nouveautés qui actualisent le visage du paysage commercial en ville. Le déclin du commerce traditionnel touche désormais aussi les grandes villes (la pandémie et le e-commerce ont d’ailleurs certainement été des accélérateurs de cette tendance déjà à l’œuvre avant 2020, notamment aux Etats-Unis) et engendre de la vacance commerciale. De plus en plus, de nouvelles start-ups de commerce ultra-rapide s’en emparent. Ces magasins, désormais fermés aux visiteurs, sont appelés « dark stores » lorsqu’il s’agit d’épicerie ou « dark kitchens » lorsqu’ils préparent des repas. Ils rendent possibles les livraisons instantanées. Les magasins ne sont pas les seuls. Tous les espaces urbains sous-utilisés et inutilisés sont visés (parkings souterrains, délaissés urbains). La valeur ajoutée pour la ville en termes d’utilisation efficace de l’espace et d’attractivité urbaine reste à étudier.
Le retour des entrepôts urbains
Le e-commerce génère le besoin de nouvelles grandes surfaces d’immobilier logistique autour des villes. Mais on voit également des entrepôts qui (ré)apparaissent dans les zones plus denses. Ces entrepôts, du micro-hub à « l’hôtel logistique », représentent un nouveau type d’immobilier. Ils permettent de stocker les marchandises au plus près des consommateurs en attente de leurs commandes (le nombre de références est bien sûr réduit par rapport à un grand fulfillment center périurbain) ou de traiter les colis et de réorganiser la chaîne de transport dans son segment urbain (cross-docking permettant l’usage de véhicules mieux adaptés à la ville, ainsi que la gestion des retours). Cela répond aux attentes des consommateurs qui apprécient des livraisons rapides, sans toujours d’ailleurs se rendre compte de leurs impacts sur les kilomètres logistiques supplémentaires générés en ville.
Figure 7. Visuel créé sur la base de l’Immeuble Inversé conçu par Sogaris.
Ces nouveaux schémas de logistique urbaine pour le e-commerce demandent une réorganisation de l’espace public dans les différents quartiers, notamment résidentiels. Un nouvel urbanisme s’impose, dans lequel l’expertise et les expériences de différents domaines, souvent encore séparés, s’assemblent. L’objectif : une logistique urbaine pensée en amont dans la manière de planifier, concevoir et aménager les villes.
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