Les vecteurs liquides d’hydrogène, chaînon manquant entre l’hydrogène et le monde de la Supply Chain

Avis d'expert

Pierre-Emmanuel CASANOVA, CEO, HySiLabs & Claire BURTIN, Strategic Partnerships Manager, HySiLabs
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Et si la supply se convertissait à l’hydrogène ?

L’hydrogène a toute sa place dans le secteur du transport décarboné.

Un peu de chimie pour commencer. L’hydrogène (H2) est un gaz qui peut être produit par électrolyse c’est-à-dire en cassant des molécules d’eau avec de l’électricité. Et cela sans aucune émission. On parle d’hydrogène vert si l’électricité utilisée est issue de ressources renouvelables.

On l’utilise principalement aujourd’hui comme matière première en chimie pour produire des fertilisants et en métallurgie.

Il a récemment fait son apparition dans le monde de l’énergie et du transport. En effet, sa combustion génère environ 3 fois plus d’énergie que le diesel et ce, sans émissions de gaz nocifs. L’unique produit de la réaction permettant de produire de l’électricité à partir d’hydrogène est de la vapeur d’eau !

Le secteur du transport est responsable d’environ 20% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. L’hydrogène se positionne donc comme un excellent substitut à l’utilisation intensive des carburants fossiles pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions fixés par l’Europe.

En pratique, pour les véhicules, l’hydrogène offre une utilisation similaire aux carburants fossiles : autonomie, durée du plein et performances du véhicule restent inchangées. Et cela, sans les émissions : ni NOx ni CO2. Si l’hydrogène utilisé est vert, alors le cycle est totalement respectueux de l’environnement.

Cette solution verte peut donc être utilisée pour alimenter quasiment tous les moyens de transport utilisés en supply chain : chariots élévateurs, véhicules de livraison de ville, poids lourds, trains et même bateaux. Des véhicules hydrogène sont déjà disponibles à échelle pré-commerciale ou commerciale pour chacun de ces usages. Mais la filière, en particulier pour la supply chain, ne décolle pas au rythme espéré.

Mais alors quels sont les freins à l’utilisation massive de l’hydrogène en supply chain ?

Premier élément de réponse : le coût.

Les solutions hydrogène sont à ce jour plus chères que leurs équivalents carbonés. Mais la diminution des coûts est déjà amorcée et va s’accélérer avec l’augmentation des volumes et le passage à l’échelle des moyens de production (industrialisation des procédés d’électrolyse et production en série des systèmes). Un récent rapport de Shell considère que d’ici 2030, le coût global d’utilisation d’un poids lourd hydrogène sera équivalent à celui d’un poids lourd diesel.[i]

Deuxième élément de réponse: la disponibilité de l’infrastructure.

Pour que l’usage de l’hydrogène se démocratise, les stations de distribution d’hydrogène doivent mailler tout le territoire à l’image des solutions conventionnelles. C’est d’autant plus crucial pour les véhicules se déplaçant sur de longues distances, comme c’est le cas en logistique. Mais l’infrastructure peine encore à se développer, car la distribution de l’hydrogène existante (utilisée dans la chimie notamment) n’est pas adaptée à ces nouveaux usages « grand public ».

En effet, actuellement l’hydrogène est transporté et stocké soit sous sa forme gazeuse à haute pression (de 200 à 500 bars) soit sous sa forme liquéfiée à très basse température (-253°C). Ces technologies de transport nécessitent l’utilisation d’infrastructures dédiés qui sont coûteuses à déployer et à entretenir. Un camion de transport d’hydrogène coût par exemple pratiquement 10 fois plus cher qu’un camion de transport de diesel[i].

De par la nature de l’hydrogène, ces solutions sont soumises à des règles strictes de sécurité. Par exemple, on ne peut pas stocker plus d’une tonne d’hydrogène dans les centres villes sans autorisation (ICPE 4715[ii]).

Cette capacité limitée, ces infrastructures dédiées et soumises à des réglementations contraignantes ont évidemment un impact négatif sur le coût de la distribution. Aujourd’hui, le transport de l’hydrogène correspond à environ 30% du coût pour l’utilisateur final[iii].

La supply chain est donc en attente d’une solution de distribution d’hydrogène facile à implémenter, économique, sûre et bien sûr durable. C’est le chaînon manquant pour démocratiser l’hydrogène dans la supply chain.

Les vecteurs liquides d’hydrogène, clef de voûte de la distribution de l’hydrogène pour une utilisation en logistique

La bonne nouvelle c’est que des solutions innovantes sont en cours de développement pour pallier les limitations des technologies traditionnelles: les vecteurs liquides d’hydrogène.

Ces innovations, en plus de faciliter le transport de l’hydrogène, permettent d’utiliser des infrastructures de stockage et de transport de liquides déjà existantes pour les carburants fossiles (camion-citerne, dépôt de stockage, etc.).

Concrètement, l’hydrogène produit par électrolyse est directement stocké dans le liquide via une réaction chimique (étape A). Le liquide ainsi chargé en hydrogène est transporté facilement jusqu’à la station-service (étape B). Sur place, il peut être stocké sans danger. Enfin, l’hydrogène est libéré à la demande en fonction des besoins (étape C). Le liquide déchargé peut ensuite être de nouveau chargé en hydrogène (d’où le terme de vecteur).

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Plusieurs types de liquides ont été développés, et sont comparés selon les critères suivants :

  • Performances de stockage : combien d’hydrogène peut être stocké dans 1 litre de vecteur ?
  • Impact environnemental : quelles sont les émissions associées à la production et à l’utilisation de ce liquide ?
  • Sécurité : le liquide est-il dangereux, toxique ou inflammable ?
  • Coût: quel est le prix par kg d’hydrogène transporté ?

Chaque liquide présente des avantages et des inconvénients, comme l’ammoniaque ou le toluène, qui possèdent de très bonnes performances de stockage mais restent des éléments toxiques ou carbonés. Il faudra donc trouver un compromis entre coût, performance, sécurité et impact environnemental.

Du côté des technologies françaises, la startup HySiLabs (dont les auteurs de cette tribune font partie) a développé un de ces vecteurs liquides d’avenir: HydroSil. Ce vecteur liquide développé à Aix-en-Provence présente des performances de stockage intéressantes pour différentes applications. En effet un simple camion-citerne d’HydroSil transportera jusqu’à 7 fois plus d’hydrogène qu’un camion haute pression. Ce gain impacte donc directement le coût du transport (qui peut être réduit d’au moins 50% par rapport au transport sous forme de gaz à haute pression) tout en proposant une solution plus sûre et qui s’inscrit pleinement dans le respect de l’environnement (non toxique et non carbonée).

En simplifiant la logistique de l’hydrogène, ces liquides représentent donc une vraie solution pour le transport, le stockage et l’utilisation de l’hydrogène dans des secteurs où il est encore trop peu utilisé. Ils sont les chaînons manquants qui permettront à l’hydrogène de jouer pleinement son rôle dans la transition énergétique de la supply chain.

[i] Paul Bogers, VP Shell Hydrogen during the Plug’n Play Webinaire on the 27/10/2020
[i] IEA, ‘The Future of Hydrogen’, Juin 2019
[ii] https://aida.ineris.fr/consultation_document/30090, site internet consulté le 30/10/2020
[iii] D’après informations recueillies auprès d’acteurs de l’hydrogène : pour 1kg d’hydrogène $2 de production, $6 transport/stockage et $8 pour l’infrastructure liée aux stations-service. En comparaison, le transport/stockage représente entre 0.015 et 0.02 € pour 1 L de carburant.

Pour en savoir plus : www.hysilabs.com


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