Les femmes dans la Tech : une question de sens ?

Techno

Valérie Mas, co-fondatrice et co-dirigeante, WeNow
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Les femmes sont très (trop ?) peu présentes dans la Tech. Sur les 120 entreprises du Next 40-FT120, l’indice des pépites les plus prometteuses de la French Tech, seules 7 ont été co-fondées ou sont dirigées par des femmes. Pire : 56 % des femmes en fonction dans la tech quitteraient leur poste à mi-carrière. En France, la part des femmes dans la Tech dévisse même. Déprimant. Surtout lorsqu’on songe à la place que le numérique est en train de prendre dans nos vies. Mais comment changer ?

Ce n’est pas un problème de compétences

Le manque de femmes dans la Tech n’est pas dû à une différence hommes / femmes sur le plan des compétences scientifiques. Les petites filles sont même souvent plus brillantes que les garçons au cours de leur scolarité. Une majorité des mentions «Bien» et «Très Bien» au Bac S sont décrochées par des filles. Pourtant très peu poursuivent leurs études supérieures dans des matières scientifiques.

On peut même rappeler que, par le passé, les femmes ont même été presque à parité des hommes dans les métiers de la « tech ». En 1984, année du pic, 40 % des diplômes aux États-Unis en sciences informatiques sont attribués à des femmes, contre 22 % aujourd’hui.

Le mythe du geek

Ce qui a changé dans les années 80 ? La démocratisation de l’informatique avec l’arrivée du micro-ordinateur dans les foyers. Avant, lorsque les métiers de l’informatique étaient encore des affaires de spécialistes dans un petit monde fermé, hommes et femmes trouvaient chacun leur place. Avec l’arrivée du micro-ordinateur, la publicité transforme et oriente les représentations. L’ordinateur devient un instrument de puissance. Il est vendu aux hommes pour leur permettre de gérer le budget de la famille et l’informatique comme le métier d’avenir pour les garçons.

Isabelle Collet, autrice sur les sujets des femmes et de la Tech, explique « Autour de ces micro-ordinateurs, se sont constitués des petits groupes d’adolescents technophiles, hostiles aux filles, à un âge où les enjeux identitaires les poussent à se positionner en tant que garçons masculins face au groupe « autre », celui des filles (Vouillot, 1999). » (Source)

Visuel article WeNow Femme dans la Supply Chain pour le blog de SprintProject

C’est aussi à cette époque, sous l’influence de la science-fiction, que se construit l’image du “geek”, ou du « nerd », des jeunes hommes, peu à l’aise en société, pris dans une relation exclusive avec l’ordinateur. Certains psychologues ont même écrit que, plus le candidat est antisocial et obsédé par le code, meilleur il sera. Finalement, c’est l’informatique pour l’informatique qui prime. Peu importe le sens.

Le manque de sens

C’est peut-être justement là où le bât blesse : le manque de sens. Car, pour revenir aux études, pourquoi les filles ne continuent-elles pas dans la voie scientifique ? Souvent pour trouver du sens, elles préfèrent se tourner vers des voies plus « humanistes ».

Je prends ici le risque de vous choquer avec des stéréotypes. Revenons si vous le voulez bien en maternelle. Tous les enfants jouent dans les cours de récréation en maternelle ou en début de primaire. Mais, très vite, les filles se détournent des billes ou des autres jeux pour socialiser et se promener en discutant. Et si les filles jouent globalement moins aux jeux vidéos que les garçons (53,2 % contre 82,3 %), elles arrêtent même de jouer plus tôt qu’eux.

Et cela ne s’arrête pas à l’école : les garçons continuent à jouer jusqu’à leur vie professionnelle qu’ils abordent comme un jeu. C’est d’ailleurs, de mon point de vue, la raison pour laquelle un homme pourra plus facilement qu’une fille demander une augmentation ou briguer un poste, car, pour lui, ce n’est qu’un jeu. S’il réussit, c’est super. Si cela ne marche pas, il re-tentera autrement, plus tard. C’est une partie à rejouer. La femme, quant à elle, prendra ce changement beaucoup plus à cœur et n’osera pas demander ; ou bien, si elle demande et qu’elle essuie un refus, elle aura plus rapidement le sentiment que c’est une remise en question de sa personne. Même s’il est clair que toutes les femmes ou tous les hommes ne rentrent pas dans ce stéréotype, il est difficile de nier que cela concerne la grande majorité.

La Tech, trustée par les hommes, s’est donc construit sur un modèle excluant, et est même devenu carrément sexiste.

Pourtant, changer est indispensable

Intégrer plus de femmes dans la Tech, c’est bien évidemment d’abord une question de justice sociale : on ne peut pas écarter la moitié de l’humanité de certains emplois.

C’est ensuite une question de prise en compte des besoins. Le numérique a pris une telle importance dans notre monde qu’il le façonne. A l’instar des architectes, ceux qui conçoivent les algorithmes créent le monde dans lequel nous allons vivre. Si vous avez déjà eu l’occasion de marcher sur la dalle de La Défense avec des chaussures à talons, vous vous êtes sûrement rendu compte que l’architecte devait être un homme : les dalles sont suffisamment éloignées pour que les talons restent coincés, mais pas assez pour qu’on y fasse attention…

Les exemples de conséquences du manque de femmes ne manquent pas : les GPS reconnaissent mieux les voix d’homme assis sur un siège passager que les voix de femme, pourtant au volant ! Dans le domaine de la santé, il a fallu attendre des années pour avoir des applis pour monitorer les règles…

C’est enfin une question de construire un monde plus apaisé. Dans son livre « le Bug humain », Sébastien Bohler met en lumière une zone de notre cerveau, le striatum, qui est à l’origine de la production des hormones de plaisir. Selon lui, le striatum s’est renforcé au fil des siècles de manière à améliorer la perpétuation de notre espèce. Il déclenche des hormones de plaisir lorsqu’on a des comportements qui nous assurent une descendance. C’est pourquoi notre cerveau nous pousse à chercher toujours plus de nourriture, de pouvoir, de sexe ou encore d’information. C’est celui qui est à l’œuvre dans nos sociétés modernes et qui nous poussent tous les jours un peu plus à la destruction de notre planète.

Il explique que c’est particulièrement vrai chez les hommes. Chez les femmes, il semblerait qu’il y ait un facteur supplémentaire qui déclenche la production de cette hormone de plaisir : les actes de générosité.

Ce qui pourrait expliquer les différences qu’on observe dans le management, les femmes étant moins soumises à la logique d’efficacité et plus attentives au bien-être et au sens. Côté pouvoir, une étude a démontré, par exemple, que les pays dirigés par une femme ont mieux géré la COVID-19. Si les femmes étaient plus présentes dans la Tech, il y aurait peut-être moins de développement d’applications inutiles, peut-être un peu moins de course à la croissance et peut être un peu plus de bien-être ?

Comment changer ?

Je pense qu’il y a plusieurs axes pour faire changer le système. Le premier est de développer un maximum de rôles modèles. Plus les femmes de la Tech seront visibles, quel que soient leur rôle – car on peut travailler dans la Tech sans nécessairement coder -, plus les autres auront confiance et envie de les suivre. On cite souvent Eva Sadoun (Lita.co), Celine Lazorthes (Leetchi), Agnès Bazin (Doctolib), mais il faudrait en mettre régulièrement de nouvelles en avant comme Shirley Jaggle, multi-entrepreneuse, à la tête d’une entreprise de la Tech qui construit le numérique durable.

Je pense ensuite qu’il faut, assez tôt dans la scolarité, permettre à tous les enfants de développer des projets numériques qui ont du sens. Coder devient de plus en plus simple avec les outils actuels. Et les enfants – garçons et filles – prennent plaisir au code, car il permet de voir rapidement un résultat. Faire réaliser des projets utiles aux enfants, des projets dont ils seront fiers, leur permettrait de développer, très jeunes, le sens du projet utile.

Je trouve vraiment génial que des écoles se créent pour aider les femmes à casser les codes des nerds telles que Ada Tech School ou encore la Women coding academy.

Je pense enfin qu’il faut donner envie de développer des vrais duos homme / femme à la tête des boites de la Tech, parce que, en réalité, c’est la mixité qui est vraiment intéressante. Un duo Homme / Femmes permet de cumuler une vision business ambitieuse avec une vision emphatique et bienveillante. Les femmes, accompagnées par les hommes, disposent de tous les leviers pour incarner un leadership plus inclusif et collaboratif !

C’est aussi comme cela qu’on pourra construire un monde plus durable.


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