Projet ANAIS : Naviguer dans l’océan numérique en mode start up

Avis d'expert

Charles, Capitaine de Corvette, intrapreneur ANAIS, chargé des questions d’IA et Chief Digital Officer adjoint, état-major de la Marine
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Un grain de sable dans l’engrenage de la circulation maritime mondiale

 

Tempête dans un canal : un grain de sable, une erreur humaine, ou un problème technique grippent 10% du commerce international pendant une semaine. L’échouage de l’Ever Given illustre à la fois le poids des voies maritimes dans les chaînes d’approvisionnement internationales et la vulnérabilité des axes principaux aux points de concentration stratégiques comme le canal de Suez.

Or les voies maritimes sont aussi des voies numériques et même, en grande partie, les voies du numérique puisque les câbles sous-marin suivent les axes maritimes principaux. L’enjeu de la maîtrise de l’espace maritime se décline donc dans les mondes physiques et numériques. C’est un univers complexe, changeant et difficile à unifier du fait de la multiplicité des acteurs qui y évoluent et du réseau mouvant des flux physiques, numériques, financiers, humains qui le traversent.

Maîtriser l’espace maritime nécessite d’être capable d’anticiper et de croiser les éléments de contexte propres à une zone d’intérêt pour évaluer tant les risques que les opportunités afin d’orienter son action finement et d’être résilient. Cela suppose une maîtrise de l’information maritime donc des données maritimes : elles sont massives et augmentent constamment avec la progression des échanges et des activités en mer. En effet, le milieu marin est aussi un océan de données extrêmement variées, un navire est un objet numérique : données océanographiques, cartographies, météo, transpondeurs des navires, données radar, satellites (radar, image …), données acoustiques, zones de pêche, routes maritimes… du reste, ces données ne se limitent pas à la mer puisque les activités liées au maritime débordent largement sur les activités à terre. Maîtriser cette étendue numérique est donc un défi de taille.

 

Allier capacité d’adaptation et résilience dans l’océan numérique

 

La Marine a une responsabilité particulière dans la préservation de notre espace maritime, le deuxième au monde. Elle le fait par ses moyens opérationnels, par le savoir-faire de ses équipages et par une culture de l’adaptation à un milieu sans cesse en évolution. En effet, face à l’imprévisibilité de l’océan et à la numérisation accélérée du monde maritime, innover est nécessaire. C’est pourquoi la Marine expérimente en ce moment à la fois un outil et une méthode de développement de projet innovante avec le lancement de la Start Up d’Etat ANAIS (Analyse des Incohérences de Situation maritime).

Pour ce qui est de la méthode, ANAIS est une start up d’Etat ; dans notre cas, une démarche portée par un officier « intrapreneur » soutenu par l’Etat-major de la Marine. Elle est appuyée sur le dispositif animé par la Direction Interministérielle du numérique (DINUM.) en partenariat avec la Fabrique Numérique de la Direction Interarmées des Réseaux d’Infrastructure et des Systèmes d’Information (DIRISI) et le soutien de l’Agence de l’Innovation de Défense (AID).

Comme outil, ANAIS est pour l’heure une plateforme souveraine capable d’analyser la circulation des navires à l’échelle mondiale en temps réel et de relever les incohérences ou comportements dangereux par des algorithmes d’IA légère. L’application est accessible en Cloud aux navires, avions et centres à terre de la Marine Nationale et à ses partenaires étatiques. Au fur et à mesure, cette plateforme est enrichie par des données maritimes ouvertes, environnementales notamment, permettant d’affiner la compréhension du contexte et les analyses. L’expertise de l’opérateur est mise en valeur : il peut de manière intuitive régler l’outil selon les besoins opérationnels propres à sa mission du moment et se concentrer sur les tâches à haute valeur ajoutée. Réagir plus vite et de manière plus pertinente face à une situation complexe et à un flot d’information est un gage de résilience.

 

Un premier impact opérationnel mesurable qui éclaire une question de souveraineté numérique

 

Les premiers résultats d’expérimentation opérationnelle sont encourageants. ANAIS analyse en temps réel 10 millions de positions de navires par jour et sert à de nombreuses unités : frégates, patrouilleurs, avions de patrouille maritime, centre opérationnel à terre, sémaphores…

De plus, l’outil est expérimenté en inter administration depuis le Comité Interministériel de la mer 2020 ce qui a permis d’initier des convergences autour de la démarche. Enfin, ANAIS a été retenu par le jury France Relance pour le volet « Développer l’utilisation de la donnée dans votre administration ». Cet apport du Plan de Relance va être mis à profit pour consolider le projet et diversifier les données intégrées dans l’outil.

Plus largement, cette dynamique contribue à élargir progressivement la vision. Il serait en effet envisageable à l’avenir, tout en conservant l’outil « tactique » actuel tourné vers un usage opérationnel, d’en développer une dimension scientifique et collaborative.

En effet, l’enjeu est le développement de l’intelligence artificielle maritime, en ouvrant une version allégée de l’outil à un écosystème innovant (Etat, monde académique, industrie) afin de valoriser, passer à l’échelle, tester et mettre à disposition de la communauté opérationnelle de nouvelles données et algorithmes. En effet, développer de l’IA de manière pertinente suppose un rapprochement des expertises et des données autour de projets concrets avec une vision cross sectorielle au sein d’un écosystème équilibré à barycentre étatique.

 

L’océan numérique est aussi un territoire numérique[1]

 

L’efficacité et la résilience sont à la fois humaines et techniques, physique et numérique.

En définitive, une telle plateforme maritime au service de l’efficacité opérationnelle en mer, mettant en valeur l’innovation et favorisant la collaboration entre acteurs maritimes serait un facteur déterminant de résilience par le réseau. Elle aurait de plus un effet équilibrant en développant à terme une véritable « stratégie de plateforme » étatique, souveraine et de confiance tournée vers une logique de bien commun. Ce qui pourrait être viable car la « chaîne de valeur » d’un tel dispositif est contenu à la fois dans la confiance que l’on peut avoir dans la plateforme – fondamental dans le monde maritime -, dans les données et algorithmes s’y trouvant et dans la communauté maritime utilisatrice qui serait de premier plan.

L’enjeu dépasserait donc largement la simple dimension technique. Il s’agit d’une question fondamentale de souveraineté numérique sur un « territoire numérique maritime » devenu essentiel pour la maîtrise du territoire maritime physique, la défense des ressources naturelles et la préservation de la liberté de circulation en mer.

 

[1] Territorialité Numérique,un concept exploratoire conjoint CN IA et CN cybersécurité
https://telechargement-afnor.org/normalisation-publication-territorialite-numerique

 


 

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