Le 31 décembre 2020, le Royaume-Uni sortait de l’Union Européenne, laissant un bon nombre d’e-commerçants européens dans le flou. Que pouvait-on encore expédier au UK ? Comment ? Avec quel montant maximum de commande ? En facturant les taxes à l’avance ou non ? Une seule chose était sûre : expédier dans le reste de l’Union était beaucoup plus simple. Beaucoup d’e-retailers ont alors fait le choix de suspendre leurs ventes et expéditions à destination de la Grande Bretagne, en attendant des temps plus faciles et moins coûteux. Faut-il pour autant en conclure que l’expédition intra-communautaire est un jeu d’enfant ?
En 2019, le chiffre d’affaires e-commerce en Europe était de 636 milliards d’euros
En apparence, oui : on peut toujours expédier à partir et à destination de chacun des 27 Etats membres restants de l’Union sans aucune formalité particulière. C’est le principe de libre circulation des biens, qui a été défini dès 1957 par le Traité de Rome. Liberté de circulation entre les pays des biens, mais aussi des capitaux, des services et des personnes : voilà les quatre libertés fondamentales qui définissent le marché unique européen.
D’après la Fevad, l’Europe représente un peu plus de 550 millions d’habitants dont 87% ont accès à internet et bien plus de la moitié y passent des commandes (67%). En 2019, le chiffre d’affaires e-commerce en Europe était de 636 milliards d’euros, avec une progression de 14% par rapport à l’année précédente. Les plus gros marchés au sein de l’Union Européenne sont la France (CA e-commerce 2019 de 103 milliards d’euros) et l’Allemagne (94 milliards d’euros), suivis de l’Espagne (53 milliards d’euros) et l’Italie (32 milliards d’euros). La facilité et la fluidité de commande et livraison sur votre e-shop est donc primordiale pour les consommateurs européens.
D’Ouest en Est et du Nord au Sud de l’Europe s’étendent des particularités locales de livraison
Toutefois, si la plupart des biens peuvent circuler entre les différents Etats membres de l’Union Européenne sans subir de taxes ou de formalités douanières, il ne faut pas pour autant sous-estimer les préférences de livraison propres à chaque pays. En effet, d’Ouest en Est et du Nord au Sud de l’Europe s’étendent des particularités qu’il faut prendre en compte afin de satisfaire au mieux aux attentes des consommateurs. La globalisation est à l’œuvre : si on peut tout à fait expédier de façon globale, il faut perfectionner l’expérience post-achat avec les préférences locales de chaque marché, qui sont souvent liées à leur degré de maturité e-commerce.
Ainsi par exemple, certains pays comme l’Allemagne auront des flux de retours très importants. En effet, les consommateurs y ont pris l’habitude, notamment pour leurs achats de vêtements et chaussures, de commander plusieurs tailles d’un coup afin de ne garder que celle qui ira. Certains marchés sont même en train de mettre en place des mécaniques de “buy now pay later” qui permettent de ne régler que l’article qui n’est pas retourné à l’entrepôt, après réception et traitement du colis renvoyé. Il faut donc bien anticiper la gestion et le coût de ces flux retour qui peuvent sembler disproportionnés à un e-commerçant non avisé.
Dans d’autres zones de l’Union, notamment en Italie et dans les pays de l’Est, c’est le “cash on delivery” qui est la norme. Le concept ? Le consommateur paye à la livraison. Cette coutume, qui peut nous sembler accessoire, est pourtant un must have : dans ces pays la défiance envers les paiements en ligne règne, et très peu de transactions se font sur les sites marchands, ou bien le plus souvent par le biais de cartes prépayées. Celles-ci ne facilitent pas la récurrence d’achat car elles sont caduques d’une utilisation à l’autre et ne peuvent donc pas être sauvegardées pour les futures commandes. Si l’e-commerçant ne met pas en place la livraison “cash on delivery”, il risque de se confronter à un comportement de “see online, buy offline” : les clients consulteront les détails du produit en ligne mais iront faire leurs emplettes physiquement. L’e-commerçant devra alors investir pour déployer un réseau retail physique afin de voir ses ventes décoller.
Le choix du lieu de livraison a aussi ses particularités locales. En effet, un Espagnol sur deux (51%) est familier du click & collect, tandis qu’un Italien sur quatre (25%) préfère se faire livrer au bureau. L’Allemagne est le pays d’Europe pionnier sur les casiers ou lockers : les Packstations ont été développées par DHL dès le début des années 2000 ! Il peut donc être judicieux de proposer ce mode de livraison.
Enfin, concernant le moment de la livraison, malheureusement comme partout dans le monde, le plus vite c’est reçu, le mieux ! Il faut néanmoins savoir que sur les plus petits territoires d’Europe, comme le Benelux, les habitants ont l’habitude de recevoir leurs commandes passées sur les sites locaux en 24h. Il faut donc essayer de rivaliser avec ce temps de traitement pour se faire une place sur le marché, même si vous n’avez pas de centre logistique local. La plupart de ces pays proposent également des livraisons le samedi – ce qui n’est pas forcément le cas dans le Sud de l’Europe – et la Belgique expérimente d’ailleurs depuis peu les tournées le dimanche.
Slow delivery et dernier kilomètre : deux lames de fond
Si la simplicité administrative de la livraison en Europe peut laisser croire qu’on peut uniformiser l’expérience post-achat entre les différents marchés de l’Union européenne, cela est donc loin d’être le cas. Au-delà des standards locaux qu’il faut connaître pour pénétrer ces marchés, ces pratiques sont aussi une source de veille et d’innovation dont il faut prendre le pouls régulièrement.
Il me semble enfin essentiel de souligner les deux sujets d’innovation logistique qui sont communs à tous les pays d’Europe : les problématiques de last mile et de slow delivery. En effet, qu’il s’agisse de Madrid, Rotterdam ou Budapest, toutes les villes doivent faire face, et encore plus depuis la pandémie de Covid-19, à la résurgence des solutions de livraison urbaine qui proposent de vous apporter courses, colis, produits frais, pressing et j’en passe à moto, vélo-cargo, trottinette ou autres engins plus ou moins électrifiés qui restent à inventer. Tous les pays devront aussi faire face dans les années qui viennent à la sensibilisation croissante de leurs citoyens aux problématiques éco-responsables et à l’incohérence fondamentale qui consiste à vouloir se faire livrer le plus vite possible, le moins cher possible, mais en polluant le moins possible et en offrant les meilleures conditions de travail possible aux livreurs.
Les réponses que les différents états apporteront à ces questions, de façon individuelle ou conjointe, de façon normative ou entrepreneuriale, seront essentielles pour dessiner l’avenir de la livraison e-commerce européenne.
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