Être une femme à Rungis : défis et avantages

Avis d'expert

Shu Zhang, CEO, Pandobac
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Qui suis-je ? 

 

Je m’appelle Shu Zhang, j’ai 32 ans. J’ai créé deux sociétés dans des domaines traditionnellement dominés par les hommes. J’ai grandi en région parisienne et après des études d’ingénieur généraliste à l’Ecole Centrale Paris, j’ai finalement choisi de m’orienter vers la restauration, par amour de la gastronomie. J’ai donc effectué 1 an de CAP Cuisine pour finalement ouvrir mon propre restaurant, Maguey, en 2014. J’avais donc l’habitude d’évoluer dans un milieu d’hommes. Bien que ces milieux soient très masculins, je m’y suis toujours sentie à l’aise, parfois même en décalage avec les témoignages de certaines femmes, qui pointaient des différences de traitement entre femmes et hommes. Je n’avais pas l’impression qu’on me faisait sentir une différence pendant mes études et je n’ai pris que tardivement conscience d’inégalités de traitement entre hommes et femmes. Au restaurant par exemple, il m’est arrivé plusieurs fois que les clients ne croient pas que j’étais la patronne : je devais forcément être la femme du chef ! Après quatre années à la tête de mon restaurant, j’ai eu envie de me lancer dans une autre aventure, née de mon expérience. En effet, j’ai constaté pendant ces quatre années que l’approvisionnement d’un restaurant était source d’une quantité considérable de déchets : chaque jour, les fournisseurs livrent leurs marchandises en cartons, cagettes, polystyrène, autant d’emballages jetables qui finissent incinérés ! Non seulement l’impact écologique de ces emballages est désastreux (émissions de gaz à effet de serre, utilisation de ressources naturelles) mais ils coûtent chers aux fournisseurs et mobilisent le personnel du restaurant qui doit tous les faire rentrer dans les poubelles.

C’est ainsi que j’ai décidé de monter Pandobac avec deux associés en 2018. Pandobac est une solution permettant aux professionnels de passer facilement des emballages jetables aux emballages réutilisables. Pour cela, Pandobac propose plusieurs services : conseil aux entreprises et collectivités, location de bacs réutilisables, suivi grâce à une application développée en interne et lavage de bacs dans un centre de lavage situé à Rungis. Bien que touchés par là Covid-19, notre équipe compte aujourd’hui 10 collaborateurs. Nous sommes implantés en Île-de-France, mais aussi en Bretagne et en région lyonnaise. Tout comme la gastronomie, le domaine de la logistique alimentaire est principalement dominé par des hommes. On les retrouve aux principales fonctions de direction et aussi aux postes très physiques que requièrent la préparation de commande, la livraison et le travail de nuit. Les femmes sont présentes également, à des postes de contrôle qualité et de vente principalement.

 

Les défis d’être une femme dans la supply et plus généralement dans un domaine masculin

 

Le fait d’être une femme dirigeante de société a parfois était source de complication pour les démarrages de Pandobac. En effet, il nous est arrivé plusieurs fois, à mon associée et à moi-même, de ne pas nous sentir prises au sérieux par nos interlocuteurs, quasiment exclusivement masculins, lors de nos premiers rendez-vous. A notre jeunesse, s’ajoutait à mon sens leur manque d’habitude d’être face à des femmes dirigeantes et l’installation d’une sorte de “barrière du genre”. La culture de Rungis notamment repose beaucoup sur de l’entre-soi et une “ambiance de vestiaire”, certes fraternelle mais parfois excluante vis-à-vis des femmes. Cela a parfois pu être un frein pour établir une relation de confiance avec nos clients au début. Pourtant, je me considère comme un contre exemple de femme victime de discrimination : je ne me suis jamais sentie exclue ou lésée par le fait d’être une femme. Je vois néanmoins autour de moi de nombreux exemples de femmes avec un syndrome de l’imposteur. Ce syndrome, identifié en 1978 par les psychologues Pauline Rose Clance et Suzanne Ament Imes, peut se décrire par une impression de tromper ses interlocuteurs et son entourage sur son niveau de compétences. Cela produit un sentiment d’anxiété et de peur à l’idée d’être démasquée. Ce syndrome se retrouve dans de nombreux témoignages de femmes occupant des postes à responsabilité. Pourquoi ? Principalement parce qu’en tant que femme, nous intégrons de nombreux impératifs contradictoires de la part de la société, qui nous demande de réussir tout en étant discrètes et polies. Pourtant, être une femme dans la Supply Chain s’avère aussi être une force. Avec deux femmes co-fondatrices, Pandobac jouit d’une visibilité accrue. On se souvient de nous et nous tranchons dans des panels souvent exclusivement masculins. Par ailleurs, nous avons pu bénéficier de programmes spécifiques dédiés aux femmes, comme Femmes Entrepreneures ou encore Women4Climate.

 

Une seule solution, plus d’éducation !

 

Finalement, être une femme dans la Supply Chain présente des défis mais aussi certains avantages. Pour autant, loin de moi l’idée de saluer le manque de parité dans ce milieu. Tant que les femmes y seront minoritaires, elles en paieront le prix. Elles sont censées atteindre le même niveau de performance que leurs homologues masculins, mais en plus de cela, elles sont, pour la majorité d’entre elles, responsables de l’éducation de leurs enfants et de la bonne marche du foyer. A titre d’exemple personnel, c’est moi qui suis la plus vigilante et qui pense à la plupart des tâches domestiques de mon foyer. On touche là à un sujet de société sur l’implication des hommes dans les tâches domestiques et au partage de la fameuse “charge mentale”. Une fois le constat posé, c’est bien beau, me direz-vous, mais comment assurer plus de parité ? Aujourd’hui, on observe un véritable biais de genre dans les choix d’orientation. Les filles se dirigent moins vers des filières scientifiques, perçues comme des activités de garçons et inversement, les garçons se dirigent moins vers des matières littéraires. C’est en agissant à la racine de ces biais que nous arriverons à plus de parité. Cela passe par une éducation qui évite les stéréotypes de genre mais aussi par une meilleure représentation des femmes dans l’espace public. Le changement par l’exemple est quelque chose auquel je crois profondément. Plus les femmes seront mises en avant, plus elles inspireront des générations de petites filles. Cela prendra du temps mais je reste optimiste sur notre capacité à éduquer les individus pour leur permettre de choisir leur orientation et leur carrière en fonction de leurs intérêts personnels et non des stéréotypes de genre imposés par la société. Pour plus de femmes dans la Supply Chain, plus de parité et une société heureuse !

 


 

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