La profonde mutation du secteur de la santé
La chaîne logistique en milieu hospitalier
Les centres hospitaliers (CH, CHU, CHS…) ont lancé à travers plusieurs vagues (plan Hôpital 2007 puis 2012), des programmes d’investissement afin d’optimiser leur gestion et réduire les dépenses tout en garantissant la sécurité et la qualité des soins administrés aux patients. La logistique pharmaceutique représente une part importante du budget des hôpitaux et les économies étaient très attendues.
En France mais aussi en Europe, le secteur des soins est en constante transformation pour s’adapter à un environnement complexe et mouvant. Le milieu des services hospitaliers a connu ces dernières années de multiples changements :
- croissance des dépenses de santé,
- vieillissement de la population,
- intégration de technologies de plus en plus sophistiquées et de plus en plus coûteuses,
- pénurie de personnel soignant,…
En outre, dans la plupart des pays, le budget de fonctionnement octroyé par l’état est de plus en plus contrôlé et réduit (en France nouvelle tarification à l’activité T2A, plan hôpital 2007).
Dans un tel contexte, les centres hospitaliers se doivent d’optimiser leur gestion. Il est dès lors intéressant d’identifier les postes de coûts les plus importants pour estimer les gains possibles. Une étude menée par LANDRY (2010) pour des hôpitaux de divers pays (France, Pays-Bas, Québec et USA) estime que les dépenses de la logistique hospitalière représentent 30 à 40% des coûts annuels hospitaliers. Parmi ces coûts logistiques, la pharmacie représente à elle seule plus de la moitié des dépenses et présente donc un potentiel de gains intéressant.
Nous mettons donc naturellement le focus sur la logistique pharmaceutique et aux améliorations qui y sont apportées. Nous allons étudier si sur cette dernière décennie il s’est bâti une supply chain spécialisée « hospitalière » ou bien si nous assistons tout simplement à la mise en marche de l’hôpital connecté ou autrement dit à l’Hôpital 4.0.
L’Hôpital 3.0 déjà une réalité
Afin de déterminer les méthodes qui sont appliquées à la gestion de la chaîne pharmaceutique, il est intéressant de caractériser le secteur de la santé comme centre de production de services et il peut être profitable d’établir une analogie avec le secteur industriel dans lequel de très nombreuses recherches ont été effectuées. Nombreux considèrent d’ailleurs l’hôpital comme un centre de production, certes avec des spécificités importantes, mais des caractéristiques suffisamment identiques (le déploiement temporaire de ressources rares pour satisfaire une demande critique et partiellement incontrôlable) pour y appliquer les techniques issues de la recherche opérationnelle, techniques largement éprouvées en milieu industriel.
Les problématiques de logistique ont été abondamment traitées en gestion industrielle. Cependant, proportionnellement peu d’études s’intéressent à ces thèmes en milieu hospitalier. Les aspects légaux et contraintes de la chaîne du médicament, de même que l’importance du facteur humain peuvent expliquer ce peu d’engouement relatif.
Toutefois, la comparaison montre que l’adaptation des techniques industrielles aux spécificités du monde médical est porteuse. L’adaptation précoce des concepts du just-in-time à la gestion de la chaîne logistique a permis de réduire considérablement les coûts logistiques, un meilleur suivi des relations avec les fournisseurs et une réduction importante des stocks sans altérer la qualité des soins fournis aux patients.
De même, les modèles classiques de gestion des stocks s’adaptent à l’optimisation de la pharmacie hospitalière et permettent de rationaliser les flux parmi eux :
- la gestion Kanban nommée gestion plein/vide en centre hospitalier,
- les flux tirés privilégiés sur les flux poussés,
Pour garantir la performance de la chaîne logistique de la pharmacie (médicament, Dispositifs Médicaux Stériles ou Implantables) au sein d’une structure hospitalière, il est nécessaire de mettre en œuvre des outils de gestion aptes à aider les managers à prendre des décisions à la fois rapides et efficientes.
Il s’agit en effet de gérer les flux de produits dont la rupture est extrêmement problématique et dont les consommations sont fortement variables. Cet antagonisme accentue l’effet bullwhip causé d’une part par la versatilité de la demande et d’autre part par la difficulté à mettre en place des modes de gestion consensuels.
Cette problématique ouvre plusieurs pistes de recherche :
- La possibilité d’établir des prévisions de besoins d’approvisionnement plus fiables, anticipant les facteurs de variabilités (saisonnalité, climat, épidémie…).
- La possibilité de définir une véritable corrélation entre un historique des besoins de réapprovisionnement (de la pharmacie centrale et des unités de soins) et les réalités de consommation des patients.
- La modélisation de la gestion des approvisionnements déployée sur la structure hospitalière pour garantir un fonctionnement robuste et efficace de l’ensemble de la chaîne logistique.
Hors environnement production ces interrogations sont typiques de toute réflexion sur une solution de planification avancée ou ce que nous appelons communément un… APS (Advanced Planning and Scheduling Software).
Orientation de recherche proposée :
Le second volet auquel nous souhaitons nous intéresser est celui de la mise en œuvre d’outils d’aide à la décision fonctionnelle pour les gestionnaires et aptes à prendre en compte le caractère multisites et multi-décisionnel d’une structure hospitalière. Il s’agit alors de définir des outils de gestion distribués permettant un management collaboratif garantissant un fonctionnement optimal global. En industrie nous appelons celà l’OM (Order Management). i.e. ou, comment, et dans quelle quantité devons-nous disposer au mieux les médicaments ? (Pharmacie centrale, PUI Pharmacie à Usage Interne, Unité de soins, Blocs opératoires, …)
Enfin les rêves les plus fous de nos cadres Santé, (hormis le Dossier Patient Unique…) concernent souvent les thèmes suivants :
L’intégration des évènements de saisonnalité des épidémies et les imprévus du climat,
- La bonne exploitation des connaissances acquises et les agrégations des molécules (équivalence chimique et thérapeutique des médicaments ATU).
- La création de larges référentiels de consommation par typologie du centre hospitalier (ADN du CHU, type de service de soins, secteur géographique, …) afin de générer des tours de contrôle efficientes basées sur une expertise de nos CH de France.
Le périmètre d’étude nous autorise à citer le Big (ou tout du moins le Smart) Data et l’I.A. ?
De nouvelles facilités apparaissent aussi :
- La proximité du consommateur (patient) et donc la meilleure connaissance du besoin
- Un domaine d’étude vierge de toute pollution dû à des consommations erratiques suite au coup de butoir marketing (promotion, black Friday, etc..)
- L’amoindrissement du problème de transport (tournée de livraison)
Le TMS n’a pas encore sa place dans le milieu hospitalier, ou tout du moins tant que nous n’aborderons pas l’e-santé…
L’Hôpital 4.0 à portée de vue
La réorganisation de la chaîne d’approvisionnement logistique pose de nombreux problèmes techniques propres au monde de la santé dus à la nature des flux patients, personnels et produits pharmaceutiques.
- L’incertitude des besoins (pas de connaissance à priori de la demande de soins et les processus de fabrication de soins restent spécifique à chaque patient et à chaque UF),
- La multiplicité des acteurs (coordination difficile pour des prises de décision par des personnes qualifiées ayant des visions, objectifs et intérêts différents : pharmacien, logisticien, gestionnaire économique et financier, médecin et infirmier),
- Le volume de données à traiter, en moyenne une PUI (Pharmacie à Usage Interne) gère 6 000 références médicaments, un groupement CHU peut gérer jusqu’à 40 PUI et 700 Unités de soins,
- La présence constante de l’incertain sur la durée de chaque activité (soin, consommation médicamenteuse) et de l’incertain sur la suite des activités à effectuer,
- La résistance au changement (devoir d’accompagnement et de formation) et respect de l’histoire d’une organisation qui est propre à la culture de l’entreprise,
Cette pseudo marginalité apparente montre en fait des caractéristiques très proche avec le monde de l’industrie et du commerce. Il ne s’agit plus de patient mais de client. Avec l’arrivée de l’e-commerce et de l’omnicanal, c’est le monde du retail qui s’est rapprochée de la logistique santé. Le monde de l’I.A. du Big Data et de l’IoT vont naturellement profiter au Healthcare Supply Chain.
D’ailleurs grâce à l’I.A., des thérapies font déjà l’objet d’optimisation, une startup TheraPanacea développe un outil prochainement commercialisé permettant d’optimiser les zones à traiter lors de radiothérapie tout en optimisant la dose de radiations.
Le savez-vous mais au nom de l’I.A. la plus grande base de données qui collecte tous les remboursements de la sécurité sociale (20 milliards de prestations) est mouliné dans tous les sens, pour améliorer la qualité des soins réduire les coûts, et enfin accélérer les essais thérapeutiques (les échos du 5/10/2018).
Le suivi des patients est un des domaines le plus sensible, l’IoT peut tenir toutes ses promesses. Au cours d’une hospitalisation, les notifications pourront être envoyées pour suggérer des changements de tendance sur l’évolution des pronostics vitaux, et d’agir en conséquence. Les premières applications de bracelets et de textiles connectés apparaissent.
Alors vive l’Hôpital 4.0.
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