La fin annoncée du diesel, le développement du gaz carburant, une opportunité pour les transporteurs routiers ?

Avis d'expert

Vincent Guerré, Président d’ENOSIS
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ENOSIS est une start-up qui conçoit et commercialise des équipements de production de méthane renouvelable par méthanation biologique, à partir du dioxyde de carbone. Passerelles entre le réseau électrique et le réseau de gaz, ces équipements permettent également de fournir des services de soutien au réseau électrique (équilibrage en fréquence, stockage des surplus d’électricité renouvelable). ENOSIS a été sélectionnée par l’Institut Européen de l’Innovation et de la Technologie (EIT), dans le cadre de sa communauté INNOENERGY.

A la suite du « dieselgate », qui a révélé l’insuffisance des dispositifs de réduction des émissions d’oxydes d’azote et de particules fines, nocives pour la qualité de l’air, les ventes de voitures particulières diesel ne cessent de baisser. Certains constructeurs mettent désormais en doute l’avenir de la technologie, tout au moins en Europe : Toyota n’y vendra plus de voitures diesel dès la fin 2018, Volvo devrait arrêter sa production en 2019, Fiat Chrysler d’ici 2022, Peugeot en 2025, Renault Nissan y songerait également.

De manière concomitante, mais sans que l’on puisse nécessairement conclure à un rapport de causalité, s’accélère la mise en œuvre de nouvelles dynamiques fiscales et réglementaires, non sans conséquences pour le transport routier de marchandises.

Pour faciliter l’atteinte des objectifs de réduction des émissions des gaz à effet de serre et lutter contre le réchauffement climatique, des outils réglementaires de tarification du carbone ont été créés. En France, il s’agit de la composante carbone des taxes intérieures de consommation (TICPE, TICGN). Elle module la fiscalité des différents produits en fonction des émissions de dioxyde de carbone (CO2). La loi de 2015 de transition énergétique pour la croissance verte (TEPCV) avait fixé une cible avec un taux défini à 39 euros la tonne de CO2 en 2018, 56 euros en 2020 et 100 euros en 2030. En 2017, l’Etat a annoncé une accélération de la trajectoire avec 44,6 euros la tonne en 2018, 65,4 euros en 2020 et 86,2 euros en 2022. La TICPE liée au diesel passe ainsi de 59 c€ par litre en 2018 à 70 c€ en 2020 et 78 c€ en 2022 ; soit une croissance de 32% entre 2018 et 2022.

Parallèlement, pour préserver l’environnement et la qualité de l’air, les mesures locales se multiplient. Le 1er janvier 2018, Bruxelles a interdit la circulation des véhicules diesel les plus anciens dans ses 19 communes. La Cour administrative fédérale de Leipzig a jugé, le 27 février 2018, que les grandes villes allemandes avaient le droit d’interdire progressivement la circulation aux véhicules diesel polluants : la mesure est appliquée à Stuttgart et Düsseldorf. Athènes et Madrid ont annoncé le bannissement du diesel en 2025 ; Rome et Paris en 2024.

Ces mesures de restriction de circulation peuvent venir compléter, ou s’intègrent déjà, à des zones à circulation restreinte (ZCR). Il en existe plus de 200 en Europe. En France, la Loi TEPCV offre la possibilité aux collectivités qui le souhaitent de mettre en place ces zones sur tout ou partie de leur territoire, afin de protéger la santé de leur population. Les véhicules circulant dans les ZCR doivent être munis d’un certificat qualité de l’air, permettant aux autorités de moduler les dispositions applicables en matière de circulation et de stationnement, en fonction du certificat octroyé. Les véhicules sont répartis en 6 classes. La classe 6 correspond aux véhicules les plus polluants ; les véhicules diesel mis en circulation dans la période 2006-2010 respectant la norme EURO 3 relèvent de la 3ème classe ; les véhicules diesel mis en circulation à partir de 2011 respectant les normes EURO 5 et 6 relèvent de la 2ème classe ; les véhicules gaz et hybrides rechargeables de la 1ère classe ; les véhicules électriques et hydrogène bénéficient d’une classe spécifique. Les ZCR se multiplient en France : Grenoble et sa métropole, Lille et sa métropole, Lyon et Villeurbanne, Paris, Strasbourg et sa métropole, Toulouse, ont adopté le dispositif. Il devrait s’étendre à une quinzaine d’agglomérations (Bordeaux, Marseille-Aix-en-Provence, Montpellier, etc.).

Deux conséquences majeures peuvent donc être envisagées à court terme pour le transport routier de marchandises : un alourdissement des coûts de carburant avec le surenchérissement de la fiscalité du diesel, qui s’ajoute aux variations du cours du pétrole ; en fonction des restrictions locales de circulation, des difficultés croissantes pour accéder avec des véhicules diesel aux centres de distribution urbaine (CDU) et aux chargeurs, le risque principal.

Dans ce contexte, quel vecteur énergétique envisager pour remplacer le diesel pour le transport routier de marchandises ?

Des véhicules électriques, dotés de batteries ou de piles à combustible alimentées en hydrogène, sont en cours de développement. Leur utilisation n’émet ni CO2, ni polluants de l’air. Les constructeurs annoncent la mise sur le marché des premiers exemplaires à l’horizon 2020 : Mercedes, un poids-lourds à batteries pour des déplacements courte distance (200 km) ; Volvo Trucks et sa filiale Renault Trucks, une gamme de véhicules à batteries de 12 à 19 tonnes dédiés à la mobilité urbaine ; Tesla, une semi-remorque à batteries revendiquant 800 km d’autonomie ; Nikola Motor, un camion à pile à combustible avec 1.200 km d’autonomie. La disponibilité, en 2020, d’une offre commerciale complète semble néanmoins ambitieuse au regard des questions en suspens : la qualification, avec un retour d’expérience suffisant, du comportement des équipements ; la gestion du recyclage des batteries ; la disponibilité des infrastructures d’approvisionnement, en particulier pour l’hydrogène (20 stations actuellement disponibles en France) ; la capacité du réseau électrique à accepter sans surcoût notable ces nouvelles applications ; la disponibilité des infrastructures de maintenance.

Des véhicules fonctionnant au GNV (gaz naturel véhicule) sont d’ores et déjà disponibles. Adaptés à la circulation sur des moyennes et longues distances (600 à 1.000 km), ils sont complémentaires d’une grande partie de l’offre électrique.

Le GNV permet de réduire les émissions de CO2, d’oxydes d’azote et de particules par rapport au diesel (respectivement de 10%, 85% et 95%).

Le GNV ne demande pas la mise en œuvre d’une infrastructure complexe : utilisé à l’état liquide sous la forme de GNL (gaz naturel liquéfié), il est distribué par des stations d’avitaillement alimentées par camions à partir des terminaux gaziers ; employé à l’état gazeux sous la forme de GNC (gaz naturel comprimé), il est distribué par des stations reliées au réseau de gaz naturel existant. Aujourd’hui, 82 stations GNC et 23 stations GNL sont en activité en France ; 70 sont en projet.

La carburation GNV, qui est utilisée par plus de 13 millions de véhicules à travers le monde, a atteint un degré élevé de maturité. Si l’offre reste moins fournie que celle du diesel, l’essor du marché incite les constructeurs (Iveco, Mercedes, Scania, Volvo) à développer des véhicules GNV pour le transport routier de marchandises. Leur coût de détention (TCO) est désormais compétitif, d’autant que des dispositifs soutiennent la structuration de la filière. En France, la TICGN relative au GNV est gelée jusqu’en 2022 au taux de 2017 ; toute acquisition, avant 2020, de matériel roulant au GNV fait l’objet d’un suramortissement de 40%. Dans ces conditions, en 2018, en supposant le prix du litre de diesel égal à 1,15 euros (dont la TICPE de 0,59 euro) et le prix du kg de GNV à 0,85 euro, compte tenu de la récupération partielle de la TICPE sur le diesel, le TCO d’un tracteur GNV 26 tonnes effectuant 80 000 km par an est inférieur de 3% à celui d’un véhicule diesel comparable. En 2020, avec un prix du litre de diesel à 1,43 euros (dont la TICPE de 0,70 euro) et un prix du kg de GNV à 1,02 euros, après hausse du prix du pétrole, la modélisation du TCO conduit à une différence de 8% à l’avantage du GNV. Cet écart se creuse avec l’augmentation du kilométrage.

Sous sa forme bio-GNV, la version 100% renouvelable obtenue à partir de biométhane, le GNV a un impact environnemental similaire à celui des solutions électriques. Par rapport au diesel, le bio-GNV permet de réduire les émissions de CO2 de 97%, d’oxydes d’azote de 90% et de particules de 100%.

Le biométhane est donc indispensable pour atteindre les objectifs de mobilité propre. Si ses enjeux sont spécifiques, il est nécessaire d’aller plus loin et plus vite pour développer sa production. Le biométhane est un dérivé du biogaz ou du syngas, gaz issus de la transformation de biodéchets. Le biogaz contient une part importante de CO2, qui doit être éliminée pour obtenir le biométhane. A l’aide d’un procédé spécifique, la méthanation, la production de biométhane peut être quasiment doublée en transformant la fraction CO2 du biogaz. L’opération consiste à faire réagir le CO2 avec de l’hydrogène, qui peut lui-même être obtenu à partir d’électricité renouvelable (on parle d’architecture Power-to-Gas). Lorsque ce sont des surplus d’électricité renouvelables qui sont utilisés, l’installation joue le rôle de dispositif de stockage de l’électricité renouvelable. Passerelle entre le réseau d’électricité et le réseau de gaz, la méthanation est ainsi une brique des réseaux d’énergie intelligents. Afin de réduire les coûts de production, les équipements peuvent être mutualisés pour produire à la fois du bio-GNV et de l’hydrogène carburant. Si les coûts de production du biométhane restent d’une manière générale encore élevés, la filière travaille à leur diminution pour atteindre la parité avec les prix du gaz naturel d’origine fossile, corrigés de la tarification du carbone.

Mais comment reconnaître les molécules de biométhane une fois mélangées au gaz naturel d’origine fossile dans les réseaux de gaz ? Les producteurs de biométhane émettent des certificats d’origine, transférés au fournisseur de gaz lorsqu’il achète le biométhane. C’est l’acquisition de ces certificats auprès du fournisseur par l’utilisateur final qui permet à ce dernier d’attester de l’origine renouvelable du gaz qu’il consomme. A ce sujet, l’exemple d’AUDI est intéressant. Dans le cadre de ses obligations pour diminuer les émissions de CO2 de ses véhicules, le groupe développe des motorisations GNV. Afin de s’assurer la maîtrise des certificats d’origine, AUDI a investi en Allemagne dans des unités Power-to-Gas de production de biométhane. En dotant ses clients de cartes permettant de faire le plein de GNV dans plusieurs réseaux de stations-service, AUDI est capable de faire le lien entre la quantité de biométhane qu’il produit en recyclant le CO2 et la quantité de gaz consommée par ses clients, c’est-à-dire de mesurer son impact environnemental.

Pour les fournisseurs de gaz, la vente de GNV et de bio-GNV aux transporteurs routiers de marchandises est un relai de croissance majeur. Alors que les consommations de leurs clients résidentiels et tertiaires sont amenées à décroître notablement, du fait de l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, les transporteurs routiers constituent un marché de substitution. Par ailleurs, permettant la substitution des carburants pétroliers, la valorisation du biogaz et du syngas sous la forme de bio-GNV est la plus vertueuse. Il s’agit bien ici d’une opportunité pour les entreprises du secteur du transport routier, qui bénéficient d’un important pouvoir de négociation des conditions d’approvisionnement en GNV et bio-GNV. Ces conditions incluent l’achat du gaz, des certificats d’origine et, le cas échéant, à l’image d’opérateurs américains comme Ryder ou Paper Transport Inc., l’acquisition ou la location de stations d’avitaillement au sein de CDU. Les transporteurs routiers de marchandises disposent ainsi d’un levier stratégique pour diminuer le TCO de leurs véhicules GNV et acquérir au meilleur prix des garanties d’origine qui leur permettront d’attester du caractère renouvelable des carburants qu’ils consomment.


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